story of my life
On peut se dire que ma vie est fantastique. Que mes parents sont riches, célèbres, que je suis riche et célèbre, que j'ai toujours eu tout ce que je voulais, que tout a toujours été parfait, quoi. Mais c'est grâce à mes parents que je sais que les apparences sont trompeuses.
Quand votre père est un riche homme d'affaires parmi les plus influents de Londres et votre mère à la tête d'un empire de la mode, avec sa propre marque et tout le blabla, on peut s'attendre à ce que votre enfance soit remplie d'argent, de cadeaux, et autres conneries du genre. D'accord, je faisais bien tourner mes nourrices en bourrique. Mais c'était bien ça, le problème: c'étaient mes nourrices. Tout ce que la petite fille de 5 ans voulait, c'étaient des parents. Sauf que ceux-ci étaient bien trop "occupés avec le travail, ma chérie", alors ils la reléguaient à un essaim de nourrices et domestiques que la gamine prenait grand soin à éviter.
Le seul rayon de soleil dans mon enfance pourrie et solitaire, c'était ma grand-mère. Celle-ci me donnait toute l'affection et l'attention qu'elle avait, me permettant quand même de me sentir un peu aimée dans cette famille. C'était elle qui m'emmenait sortir, m'accompagnait à l'école, me servait de journal intime et de camarde de jeu. Elle était aussi une très bonne conteuse, me permettant un sommeil sans cauchemars. Mais comme on dit, le bonheur ne dure jamais longtemps. Ce fut l'élément déclencheur de toute une suite de problèmes.
L'incident arriva le 30 juin 2004. J'étais alors âgée de 10 ans, et mes parents avaient refusés de m'emmener à London Eye avec mes amies, par manque de temps. J'avais supplié, pleuré, rien n'y a fait. Alors, grand-mère m'a emmené à Hyde Park, histoire d'enlever ma mine boudeuse de mon visage. C'est grâce à elle que je passionnée de photo aujourd'hui, car elle me faisait asseoir sur un banc, et me disait d'observer la nature autour de moi. Les seuls moments où j'étais calme, où je me contentais de l'écouter m'expliquer les choses. Seulement, ce jour-là, nous n'étions pas les seules dans ce petit coin de parc. Un homme agressa ma grand-mère et tenta de me kidnapper. Elle ne le laissa pas faire et voulu me défendre, mais elle reçut un coup de couteau qui lui fut fatal. Alors qu'elle se vidait de son sang, mon agresseur en profita pour m'emmener. Mais il n'alla pas bien loin, je réussis à lui échapper et des personnes vinrent enfin à mon secours. La suite est assez floue dans ma mémoire, je me souvins qu'on m'a porté chez moi, que mes parents étaient fous d'inquiétude.
Je me souviens vaguement des funérailles, tout ce que je savais c'était que j'étais à nouveau seule, sans personne pour s'intéresser à moi. Et je n'avais pas tort. Au lieu de rester à mes côtés, mes parents trouvèrent bon de m'envoyer chez un psy, et ils devinrent encore plus protecteurs qu'ils ne l'étaient autrefois. Je ne pouvais plus faire un pas dehors sans qu'un garde du corps me colle au train. J'appris plus tard que mon agresseur fut arrêté, mais je refusais de l'identifier. Impossible, quand on sait que sa grand-mère est morte pour vous juste parce qu'un petit idiot s'était dit qu'il pourrait réclamer une rançon. A partir de là, je commençai à devenir indisciplinée, rebelle, et que mes crises de colère furent les plus fortes. Je ne voulais plus qu'ils me retiennent enfermées comme ils le faisaient, à attendre que ma vie défile sous mes yeux sans que je n'aurais jamais pu rien accomplir. J'ai aussi pratiqué des sports de combats, histoire de canaliser ma colère et de me défendre (c'était ça ou les pistolets à cartouche Mace).
Ensuite, je me souviens de l'annonce. C'était deux ans après la mort de ma grand-mère, alors que je ne m'en étais pas entièrement remise, que mes parents croyaient que tout allait mieux et qu'ils pouvaient me balancer leur bombe dans la gueule. Ils m'annoncèrent leur divorce. Je ne comprenais pas pourquoi. Ils ne se disputaient pas, parlaient calmement, plaisantaient ensemble, tout allait pour le mieux. Mais il se séparèrent. L'affaire fit grand bruit dans le monde médiatique, et la vague s'éteignit rapidement, car il n'y avait rien à dire. Le couple allait bien, mais ils se séparaient pourtant. Tout comme les journalistes, je n'ai pas compris, mais je me suis laissée faire. Et c'est ainsi que j'ai passé mon adolescence à relier Londres et New York.
Je me souviens du jour où j'ai craqué. J'étais à New York, avec ma mère, et j'avais quinze ans. J'ai fugué. Sur le coup, ç'a m'avait paru être une bonne idée. Ma mère se foutait de moi, mon père pareil. Ils étaient tous les deux trop abrutis de travail pour faire attention à moi, à ma personne, à mes problèmes. Pour eux, tout allait bien avec moi. Enfin, pour eux. J'appris que mes deux parents avaient déjà remplacé l'autre; je n'avais même pas pris le temps de faire la connaissance de la nouvelle personne qui partageait désormais leur vies. Alors j'avais décidé de partir, partir loin de tout ce qui m'embrouillait. J'étais mal, j'en voulais au monde entier. J'errai dans les rues de New York, pas longtemps, mais suffisamment pour découvrir l'envers du décor. Je voyais les rues sales des quartiers pauvres, les enfants qui jouaient dans la poussière, les familles qui peinaient à boucler les fins de mois. Mais je voyais aussi ces personnes pauvres, mais qui étaient heureuses. L'argent ne fait pas le bonheur, comme on dit. A ce moment-là, je regrettai de ne pas être partie avec un appareil, mais seulement l'argent que j'avais pu prendre à la hâte -que j'avais distribué aux gamins, d'ailleurs. C'étaient toutes ces situations, tous ces moments que j'avais envie de prendre en photo. J'avais envie de les montrer aux gens, ces clichés, pour leur faire savoir qu'ils avaient beau posséder les plus grosses richesses du monde, il y avait des enfants qui mourraient, dans la rue. Mais j'avais envie de leur faire savoir que même s'ils mourraient, ils étaient heureux.
Une semaine plus tard, j'étais de nouveau chez ma mère, qui m'envoyait à Londres afin de me faire passer l'envie de passer mes nuits dans les rues de la Grosse Pomme.
Mais elle ne réussit pas à m'en dissuader, ni mon père. Lassée de tout ça, je commençais à faire le mur, à sortir. Faire les bars, les boîtes, toutes les nuits. Encore et encore. Pour empêcher les cauchemars la nuit, car les souvenirs de la mort de ma grand-mère commençaient à hanter quelques unes de mes nuis. Et aussi pour danser, pour oublier ma vie pourrie, mes parents indifférents, pour oublier, quoi. Je suis passée par tout. Boîtes, sexe, alcool, et même drogue. Ce devait trop pour mes parents, car ils décidèrent de m'envoyer en centre de désintox pour mes 18 ans. Sympa, comme cadeau d'anniv', non ? Mais je les soupçonnais de seulement vouloir préserver leur réputation déjà bien entachée par les erreurs de leur fille.
Ils décidèrent qu'ils fallait que je reprenne ma vie en main. Il aurait déjà fallu que je l'ai jamais prise en main, ma putain de vie. Ils me proposèrent de continuer mes études, ayant eu mon diplôme, et c'est tout naturellement que je choisis photographie. J'avais dix-huit, mes parents mettaient de l'ordre dans ma vie. De l'ordre dans une vie qui recommençait à devenir bien trop ennuyeuse...
L'Australie. Sans doute la meilleure année de ma vie, à n'en pas douter. Je me souviendrais toujours des lumières de Melbourne, la nuit et des paysages magnifiques, le jour. De tous ces clichés pris à la volée, ces cafés partagés. Et surtout, de toutes ces personnes rencontrées. Ma colocataire, ces frères et soeurs de coeur, potes de beuverie, meilleurs amis... Cette année, courte, rapide, mais tellement riche. Si cela n'avait tenu qu'à moi, je serais bien restée là-bas. En fait, c'était mon but premier. J'avais même dépassé la date limite qui m'avait été imposée, c'est-à-dire un an. J'avais l'intention de leur faire comprendre que je ne rentrerais pas à New York. Je comptais rester ici, à Melbourne, où j'avais tout. J'avais tout.
Les yeux fixés sur le tableau d'embarquement annonçant les futurs vols, je me demandais encore une fois encore ce que je foutais. Si c'est une bonne idée. Non, à coup sûr, ça ne l'était pas. Je n'avais jamais eu de bonnes idées. Et pourtant, la main serrant la poignée de ma valise, je ne pouvais m'empêcher de me seriner ce que je me serinais depuis une heure: « Tu n'as pas le choix, c'est comme ça, c'est le bon choix. »
Le bon choix. A dire vrai, je me serais pendue plutôt que de prendre ce choix-là. Mais on me l'avait imposé. En même temps, il n'y avait pas d'autres échappatoires.
Les yeux dans le vague, assise sur une chaise en plastique de la salle d'attente, je me remémorais cette conversation téléphonique qui avait fait basculer ma vie que j'avais pour la première fois planifiée.
-Allô ? demandai-je d'une voix agacée.
Parler avec mes parents ne m'enchantait guère. Je n'avais décroché que parce que le numéro de mon père s'affichait plus d'une trentaine de fois à la chaîne dans mon journal d'appel depuis deux jours.
-Katherine ?
Je soupirais. Qui d'autre ?
-Qu'est-ce qu'il y a ?
Ma voix était sèche et frisait l'impolitesse. Ce n'était pas un secret pour mon père que je le méprisais, ou du moins, sa façon de vivre.
Pourtant, quand il me répondit, nulle trace d'agacement dans la voix. Pas d'autorité, rien. Juste une profonde angoisse.
-Écoute, ma chérie, il faudrait que tu... rentres.
Je me contentai de fixer le cactus qui ornait la fenêtre de ma cuisine.
-Tu connais très bien ma réponse, lui répondis-je simplement.
-Non, Kate, tu n'as pas compris... Tu dois rentrer à Londres.
Londres ?! Cette fois, je fronçais les sourcils. Qu'est-ce que j'irais faire à Londres ? Il savait très bien que cette ville symbolisait quasiment mon enfer personnel sur Terre. Puis je remarquai qu'il m'avait appelé par mon diminutif, chose qu'il ne faisait jamais.
-Qu'est-ce qui se passe ? demandai-je de nouveau, mais avec une réelle inquiétude.
Je le sentais chercher ses mots, ce qui me fit angoisser encore plus. Mon père ne cherche jamais ses mots.
-Katherine, ta mère...
Quoi ma mère ? Je bouillonnais sur place, alors qu'il essayait de contrôle sa voix.
-On lui a diagnostiqué un cancer du sein en phase terminale.
Je me contentai de fixer le cactus, comme si il allait s'animer et me dire: « Mais non, Kate, ma chérie, c'est une blague ! » avec un accent à la Cristina Cordula. Mais rien de tout ça ne se produisit. Je l'entendis me prier - me prier, pas m'ordonner, de prendre un vol pour Londres, bientôt. Puis il raccrocha. En me laissant là, m'obligeant à abandonner tout ce que j'avais prévu dans le pays dans kangourous. Je n'avais même pas osé lui dire adieu. Pas dans les yeux. Je ne lui avais pas révélé la date de mon départ. Pas exactement. Je lui avais raconté que je m'en allais le lendemain de notre dernière rencontre. Je me souviendrais toujours de ce jour, où il m'avait demandé ma main. Et j'avais refusé. Autant faire court et rapide pour limiter les dégâts. Je ne pouvais pas lui dire que j'étais restée deux semaines de plus, une à me torturer l'esprit, l'autre à faire mes valises. Je savais que s'il était là, à me prendre dans ses bras et me dire qu'on se reverrait, je savais que je ne pourrais jamais partir. Or, je le devais. Ma mère avait besoin de moi. Et même si nos relations avaient toujours été très tendues, j'étais assez humaine pour reconnaître tout ce qu'elle avait fait pour moi. Et puis, c'était ma mère. C'était suffisant comme justification.
Pourtant, je regardai l'hôtesse, qui me souriait chaleureusement, alors que tout ce que je voulais, c'était me retrouver loin d'ici. Dans
ses bras. Respirer
son odeur. Je me souvins de notre dernière conversation. Je me souvins de mon coeur, qui battait à tout allure. Moi qui était tombée si bas pour lui. J'aurais voulu rester. Puis je m'étais souvenue de mon père, de mes parents qui m'attendaient, en Angleterre. D'ailleurs, je ne comprenais pas ce que mon père faisait avec elle, mais avec ces deux-là, j'avais arrêté de me poser des questions depuis longtemps. Et je savais que cet amour ne pouvait être vécu. Je m'en était voulue, de briser son coeur. Car il savait tout aussi bien que moi que les relations longues distances, ça ne marcherait pas. Pas quand la distance est si longue. Même si j'avais promis. Promis qu'on se reverrait.
Finalement, je me redressai, tendis mon passeport et mon billet à l'hôtesse, et m'engageai dans le couloir qui me mènera à l'avion qui me ramènera à Londres. Loin d'ici. En faisant ça, je signais mon arrêt de mort. J'acceptais l'impossibilité de cet amour qui avait été le premier de ma vie.
Je me souviens de mon retour à Londres. Ce fut Summer qui m'accueillit à l'aéroport. Summer était ma cousine. Enfin, pour moi, elle était ma soeur. Elle fut la seule qui avait pu me comprendre un tant soit peu, après la mort de notre grand-mère. Je la voyais chaque fois que je rentrais à Londres, et bien que c'était assez compliqué, nous réussissions toujours à passer tout notre temps ensemble. Une année loin d'elle avait été difficile, et elle m'avait manqué. Sur le coup, j'avais été contente de la voir. Mon coeur en miette ne supporterait pas de voir mes parents. Surtout pas ma mère. Mais je ne pouvais pas y couper.
Le soir même, dans ce manoir qui nous servait d'habitation - ridicule, je voyais ma mère, Samuel - son compagnon, mon père et Camilla, sa nouvelle épouse. Touts étaient réunis autour de Louise, qui me sourit tristement en me voyant. Allongée sur son lit, elle paraissait plus faible que jamais. Quand je m'étais approchée d'elle, je m'étais effondrée dans ses bras, et j'avais pleuré toutes les larmes de mon corps, alors que ses bras me serraient contre elle, et que je sentais ses larmes me mouiller les cheveux.
Londres, ce fut l'histoire de plusieurs mois. Je n'avais pas compté. J'étais restée auprès de ma mère, dont l'état semblait se stabiliser autant que la maladie le lui permettait. Puis j'avais fini par découvrir ce que mon père faisait à son chevet, eux qui étaient censés être séparés. Je me souviens de cette nuit, quand mon père est entré dans ma chambre et s'est assis sur mon lit.
-Entrez, répondis-je en levant les yeux du bouquin que j'essayais de lire afin de me changer les idées - en vain. Tout me ramenait à lui.
Mon père entra et referma la porte sans bruit, puis vint s'asseoir sur mon lit, à mes côtés. Je posai le bouquin et le regardai.
-Ça ne va pas ?
Il m'observa un moment, puis se gratta la nuque - signe de nervosité. Je me rendis compte que je découvrais mon père ces temps-ci - jamais il n'avait été nerveux en ma présence autrefois.
-Ecoute, je... ta mère et moi avons pensé qu'il était temps de te dire la vérité.
Je fronçai les sourcils. Que m'avait-on caché ? Quand est-ce qu'on arrêterait de me lâcher des bombes ?
-Tu te demandes sûrement ce que je fais ici, alors que nous sommes divorcés.
Je me contentai de hocher la tête, de peur qu'il s'arrête de parler si je parlais.
-La vérité, Katherine, c'est que ta mère et moi ne nous sommes jamais vraiment aimé.
-Quoi ?
Cette fois, je n'avais pu me retenir. En même temps, comment aurais-je pu me retenir quand j'apprenais que mes parents ne s'était jamais aimés ?
-Si, il y a eu une période où nous nous sommes aimés. Vraiment. Les quelques mois après notre rencontre furent les plus heureux. Mais nos parents ont commencé à se mêler de nous, et l'idée du mariage a rapidement fusé. Seulement, Louise comme moi savions que notre histoire ne serait jamais sérieuse, du moins, pas comme nos parents voulaient qu'elle le soit. Alors nous avons passé un accord; nous resterions ensemble un an avant de nous séparer. Seulement, nous ne nous attendions pas à ce qu'elle tombe enceinte. Alors nous avons décidé de rester ensemble jusqu'à ce que tu sois en âge de voir tes parents séparés.
-Tu veux dire que... c'était un mariage arrangé ?
Il me lança un regard oblique.
-Pas vraiment. Au moment du mariage, on s'aimait vraiment. Mais ce fut après qu'on s'est rendus compte qu'on ne tiendrait pas comme ça pendant vingt ans.
Je ne répondis pas. Mon père dut croiser mon regard, car il s'empressa d'ajouter:
-Ne te méprends pas, Katherine, tu as été une enfant voulue. Ta mère et moi étions très heureux quand nous t'avons eu. Tu es née dans l'amour.
Je ne répondis pas. Le couple qu'a formé mes parents pendant dix ans n'était que mensonge. Au fond, c'était comme si je le redécouvrais, alors que je le savais déjà.
-Et vous avez vécu dix ans ensemble, tout en restant fidèles ?
Il voyait où je voulais en venir. Il finit par toussoter, avant de détourner le regard.
-J'ai rencontré Camilla un an après ta naissance, m'avoua-t-il.
Je gardai le silence. J'étais trop abasourdie pour pouvoir sortir quelque chose de cohérent.
-Tu sais, j'ai tout de suite su que Camilla serait la femme avec qui je passerais ma vie.
Je comprenais ce qu'il disait. Oui, je comprenais, car j'avais tout simplement ressenti la même chose. Sauf qu'à sa différence, je ne le reverrais jamais.
-Notre histoire a été magnifique. Ta mère était au courant, et je la laissais également faire ce qu'elle voulait de sa vie. Elle ne s'en est jamais formalisée, moi non plus, même quand j'ai eu...
Il se rendit compte trop tard de ce qu'il disait. Il se tut, alors que je me redressai.
-Tu as eu quoi ?
Il fuyait mon regard. Je comprenais, mais je refusais de l'admettre.
-Tu as eu un enfant ?
Il ne répondit pas, je pris cela comme un aveu. Je me levai, et quittai la chambre malgré les appels de mon père .
Après cette révélation, je me réfugiai chez Summer, qui m'accueillit à bras ouvert. Je lui avais tout raconté. Tout ce qui s'était passé en Australie.
Lui. Elle me comprenait. Et ce fut ainsi qu'elle me conseilla de prendre des distances, afin de mettre de l'ordre dans mes idées. Elle m'annonça qu'elle avait réservé un billet pour l'Alaska; elle était photographe, comme moi, et rêvait de visiter cette partie des États-Unis. J'acceptai, sans réfléchir, sans me rendre compte qu'elle parlait de l'Alaska.
Je me souviens que je me tenais dans l'aéroport international de Vancouver. J'essayais de le joindre pour la troisième fois, mais je tombais de nouveau sur son répondeur. Je décidai d'appeler sa colocataire, qui décrocha au bout de la troisième sonnerie.
-Allô ?
-Chloé ? C'est moi, Kate.
-Kate !
Et on discuta ainsi pendant plusieurs minutes. Elle me racontait ce qui s'était passé à Melbourne après mon départ. Étant assez proches, nous avions le même cercle d'amis, ainsi je fus en courant de ce que j'avais loupé ces derniers mois.
-Et puis, tu sais, ce n'est plus la même chose, depuis votre départ.
-Votre départ ? répétai-je. Qui d'autre est parti ?
Je me creusai les méninges, me demandant de qui elle voulait parler. Comment ça, quelqu'un d'autre était parti ?
Le silence au bout du fil se prolongea. Je jetai un coup d'oeil au panneau d'affichage des embarquements pour voir que j'embarquai dans un quart d'heure. Je me demandais de nouveau ce que Summer trouvait de cool à Sitka.
-Chloé ?
-Tu sais très bien qui, finit-elle par soupirer.
Oui. Je savais très bien qui. Seulement, j'avais refusé de me l'avouer. Son prénom tourna dans ma tête après que j’eus raccroché avec Chloé, pendant l'embarquement, durant tout le vol. Il avait brisé sa promesse, tout comme j'avais brisé la mienne.
Roméo.
Je me souviens de ce jour. Le 25 juillet 2014. Je ne pense pas pouvoir oublier cette date. J'étais à Sitka depuis une semaine à peine. J'étais à l'aéroport, attendant avec impatience le vol en provenance de Vancouver. Comme Summer avait bien voulu me passer son billet pour me permettre de fuir en Alaska, il avait été convenu qu'elle me rejoigne dès que possible. Je trépignais d'impatience. J'avais été seule pendant toute la semaine. Je ne connaissais personne, la ville m'était encore inconnue. De la façon dont ma cousine m'en avait parlé au téléphone le lendemain de mon arrivé, elle semblait bien renseignée sur la ville et la petite île. Alors que je regardais ma montre pour la cinquième fois, afin de constater que son avion avait un quart d'heure de retard - et je n'étais pas la seule, au vu de l'impatience qui agitait les personnes qui attendaient le même vol que moi, nous vîmes plusieurs personnes habillées aux enseignes de l'aéroport s'approcher, et réclamer notre attention.
-Je suis désolée mais un incident est survenu. Nous n'avons pas plus de nouvelles que vous, alors nous vous proposons de bien vouloir rentrer chez vous le temps que les informations nous parviennent.
Ce fut dur, et certaines personnes refusaient de quitter l'aéroport. Pourtant, la nuit tombait, et je rentrais dans l'appartement que Summer avait loué à l'avance. Je ne pus fermer l'oeil de la nuit, rongée par l'inquiétude, priant pour que ma cousine aille bien. Le lendemain, alors que je me faisais un café histoire d'avoir une tête présentable à offrir à celle que je considérais comme ma soeur, le téléphone sonnait. Je m'approchais, décrochai et allumai la télé en même temps.
-Allô ?
Je n'entendis pas ce que la personne au bout du fil me raconta. Mes yeux s'accrochèrent à la télé et suspendue aux lèvres du présentateur, je pus lire :
« Un avion de ligne reliant Vancouver à Sitka a tragiquement terminé sa course dans l’océan Pacifique »
Mes yeux refusèrent de lâcher cette inscription, alors que j'entendis la personne au téléphone m'interpeller:
-Mademoiselle ? Mademoiselle ?
-Ou...oui ? bredouillai-je.
-Avez-vous entendu ce que je viens de vous dire ?
-Je vous demande pardon ?
-Je suis désolé de vous annoncer que l'avion qu'a emprunté Mademoiselle Summer Lancaster a eu un accident. Il n'y a aucun survivant.
J'avais raccroché avant même qu'il eu le temps de rajouter un « je suis désolé». Je ne voulais pas d'excuses. Ni de pitié.
Je me laissais tomber au sol, doucement, en ramenant mes genoux contre ma poitrine. Je refusais d'y croire.
Summer est morte. Les infos ne cessaient d'annoncer la nouvelle en boucle.
Summer est morte. Ma cousine Summer a péri dans l'accident de l'avion reliant Vancouver à Sitka.
Les larmes coulaient doucement sur mes joues, alors que je réalisais peu à peu. Une pensée se forma alors dans mon esprit.
Ça aurait dû être moi.